Littérature et cinéma

Question de culture Gé Normale Sup rédigée par mes soins)
Littérature et cinéma
Jean Cocteau, 1973, in les Cahiers du Cinéma
« Je trouve dans le cinéma une encre moins morne que celle des porte-plume et le moyen de remuer une considérable charge de travail manuel que je transporte et que l'écriture m'empêche de mettre en œuvre. »
Littérature et cinéma mettent en jeu la question de l’adaptation cinématographique, celle du langage qui véhicule une analyse de la réalité qui lui est spécifique et qui diffère sensiblement de celle qui est véhiculée par l’image.
Littérature et cinéma, deux visions du monde s’affrontent. L’image est un prisme à la fois réfléchissant et divergeant.
C’est une confrontation dissymétrique entre les arts : d'un côté, un art de raconter a imposé dans notre culture le règne de « sa majesté le dire » (Jean-Luc Godard) ; de l'autre côté, une technique récente, un art sans histoire, sans noblesse et d'abord pratiquement muet est affecté devant la littérature d'un « complexe d'infériorité ».
Cependant, malgré « la méfiance légendaire du cinéma à l'égard de toutes les formes de littérature » (André S. Labarthe) très tôt s'est imposée la pratique de l'adaptation.
Les rapports entre littérature et cinéma ont été fortement problématisés en France au sortir de la Seconde Guerre Mondiale : la floraison des revues de cinéma, la découverte de nouvelles cinématographies (cinéma américain en particulier), la reconnaissance par la critique d'avant-garde de certains grands cinéastes (Jean Renoir, Robert Bresson…), tous ces facteurs participent à l'élaboration de critères esthétiques spécifiquement cinématographiques, et à imposer le cinéma comme un art de plein droit en obligeant la critique à penser sérieusement sa fréquentation de la littérature — qui continue un temps de fournir des modèles conceptuels et quelques comparaisons, même lorsqu'il s'agit de reconnaître enfin l'autonomie et la créativité de la mise en scène : « L'auteur écrit avec sa caméra comme un écrivain avec un stylo. »
I -     Littérature et cinéma : deux milieux différents, deux partenaires différents, une restitution différée.
A – Se donner à lire à travers une réécriture qui présuppose une lecture dans laquelle s’inscrit le mode d’appropriation spécifique d’un individu.
Sous le règne économique des adaptations en costumes, le cinéaste est un créateur au même titre que l'écrivain, en déplaçant l'acte d'écriture du scénario vers la réalisation elle-même. Dans un texte longuement préparé, François Truffaut condamne très violemment la méthode des scénaristes-adaptateurs Jean Aurenche et Pierre Bost (cette méthode des « équivalences » qui prône le respect à l'esprit plus qu'à la lettre du texte), et critique plus largement la séparation des tâches (écriture du scénario / réalisation du film) : « je ne conçois d'adaptation valable qu'écrite par un homme de cinéma. Aurenche et Bost sont essentiellement des littérateurs et je leur reprocherai ici de mépriser le cinéma en le sous-estimant. ». Entre temps André Bazin, refusant de considérer cette pratique comme « un pis-aller honteux » s'est prononcé nettement en faveur de l'adaptation et à plusieurs reprises en exposant plusieurs arguments (de type sociologique, historique, culturel, esthétique) dont le plus intéressant engage de fait la reconnaissance du cinéma comme art à part entière, mais aussi et implicitement l'autonomisation de l'objet final par rapport au texte initial : la réalisation d'une grande adaptation exigerait l'intervention d'un « génie créateur ». Cette hypothèse est importante dans l'histoire de l'adaptation car elle modifie les enjeux de la fidélité due au texte d'origine — à propos du Journal d'un curé de campagne (Robert Bresson, 1951) :
« La « réalité » n'est pas ici le contenu descriptif moral ou intellectuel du texte mais le texte lui-même ou plus précisément son style. On comprend que cette réalité au second degré de l'œuvre préalable et celle que capture directement la caméra ne puissent s'emboîter l'une dans l'autre, se prolonger, se confondre ; au contraire leur rapprochement même en accuse l'hétérogénéité des essences. » (p. 119)
B- Entre deux êtres d'essence hétérogène, on ne peut plus désormais attendre que s'instruisent des rapports de ressemblance ou d'imitation ; il n'est plus possible dorénavant de concevoir l'adaptation comme une opération simple de translation, traduction, transposition (suivant le vocabulaire usuel) :
"Il ne s'agit pas ici de traduire, si fidèlement, si intelligemment que ce soit, moins encore de s'inspirer librement, avec un amoureux respect, en vue d'un film qui double l'œuvre, mais de construire sur le roman, par le cinéma, une œuvre à l'état second. Non point un film « comparable » au roman, ou « digne » de lui, mais un être esthétique nouveau qui est comme le roman multiplié par le cinéma." (p. 126)
C- Au delà des conventions : Stanley Kubrick

Mais cela ne l'empêche pas de continuer à réaliser des films.
En 1971, Kubrick réalise l'adaptation d'Orange Mécanique, roman d'Anthony Burgess. L'histoire brise les conventions en abordant le problème du conditionnement et du lavage de cerveau. Avec ce film, le cinéaste s'impose et démontre qu'il est capable de déstabiliser les esprits conventionnels.
Sur treize longs métrages, onze sont des adaptations littéraires. Le cinéaste s'est donc inspiré des mots pour créer des images. Un style qu'il maîtrise et qui lui confère sa renommée.
II – Littérature et Cinéma : quand le cinéma dépend étroitement de la littérature, art reconnu. 
A - Littérature et cinéma posent une certaine ambiguité.
Il existe le piège du jugement de valeur qui consisterait à parler de « fidélité » ou de « trahison » de la transposition comme si elle n’était qu’une simple traduction terme à terme. Jacques Feyder, années 1950, désigne l’inévitable altération de substance qu’implique, comme le passage d’une langue à une autre, le passage des mots aux images. Le travail du cinéaste est en conséquence une traduction. Le cinéaste est amené à repenser l’œuvre sur un plan différent. Il s’agit déjà de la théorie des équivalences.
L’adaptation  répond à un souci de fidélité mais qui, ne travaillant que la temporalité du texte, n’en utilisant que les éléments visuels, n’en est qu’un calque figuratif. Hors de toute recherche d’écriture, on se contente d’illustrer le texte, appréhendé uniquement dans son architecture narrative et sa dimension descriptive. Idée d’une suprématie de la littérature et de l’œuvre littéraire.
Fidélité à l’esprit du roman + fidélité à la forme du roman
B- Penser les rapports texte / image en termes de perte c'est une manière de perpétuer la hiérarchie traditionnelle favorable à la littérature — le texte demeurant le point d'origine, de référence et d'accomplissement que toute intervention ne pourrait qu'altérer. Ainsi pourrait-on délimiter les contours d'une sorte de « tache aveugle » de la réflexion qui tend à omettre de questionner l'objet même de l'adaptation : l'emploi ordinaire du terme implique entre deux objets (dont il est clair pourtant qu'ils ne sont pas de même espèce) un principe d'identité indiqué souvent par un titre commun.
C- Mais précisément, qu'y a-t-il de commun entre Madame Bovary (Gustave Flaubert, 1857) et Madame Bovary (Claude Chabrol, 1991) ? Par exemple, Chabrol n’identifie pas la voix-off (ou focalisation diffuse) comme celle de l’auteur, mais puisque la plupart des interventions sont des citations directes du roman, l’audio-spectateur ressent vivement la présence de Flaubert. Si, pour certains connaisseurs du roman, les nombreuses interventions de cette voix râpeuse et désincarnée font admirer le style de Flaubert, pour le spectateur non-spécialiste de Flaubert, elles donnent une qualité froidement académique à un film qui aurait dû vibrer d’émotion. Chabrol, malgré une motivation louable, a exploité cette technique en somme peu cinématographique à ses risques et périls. 
Conclusion :
Le rapport entre texte littéraire et création cinématographique ne relève jamais un transfert unilatéral d’un langage dans un autre, ni même la simple réappropriation de l’œuvre d’un auteur par un autre auteur. Relecture d’une œuvre littéraire, elle produit des effets en retour qu’il s’agit d’analyser. Littérature et cinéma sont donc deux espaces fictifs dont l’adaptation de l’une par l’autre relèverait en fait plus de l’interprétation du texte littéraire par le cinéaste.

Kubrick réalise en 1962 Lolita, adapté du roman de Nabokov. Nombreux sont ceux qui lui reprochent d'avoir "trahi" l'esprit de Nabokov même si ce dernier a lui-même participé à l'adaptation. Mais pour beaucoup, il met en exergue l'univers de l'écrivain : un conte moral dont le fil conducteur est centré autour de trois destins tragiques (James Mason, Sue Lyon, Peter Sellers), et parmi lesquels un seul est acceptable : celui de l'héroïne. À sa sortie, le film fait scandale dans les milieux puritains. A cause de la censure, Stanley Kubrick est obligé de couper plusieurs scènes. Le cinéaste a déclaré par la suite que s'il avait su ce qui allait se passer, il n'aurait pas tourné ce film.