La Marche
La Marche de Nabil Ben Yadir est un beau film, et d'un intérêt historique incontestable. Comme tous ceux nés après 1983, je n'avais pas entendu parler de cet événement capital dans l'Histoire de la France. C'est donc avec une grande surprise que je l'ai découvert lors d'une projection organisée par EuropaCorp au Forum des Images.
Le film est bon dans la mesure où il est bien mené, divertissant, où les personnages sont attachants. Les acteurs, habituellement cantonnés à tort dans des seconds rôles tels Vincent Rottiers, Nader Boussandel, Olivier Gourmet, Hafsia Herzi, sont excellents. Ce renouvellement des têtes d'affiche change des Leïla Bekhti, Biyouna, et autres Sabrina Ouazani. D'autre part, la présence de Jamel n'apporte rien au film, si ce n'est, peut-être, une touche comique (toujours la même) et la garantie du public dans les salles le 27 novembre.
Quant au scénario, il en est tout autrement. A l'image de la marche, le film est linéaire tant dans sa forme que dans son propos. L'on voit les personnages marcher sur les routes de France, s'arrêter dans des villages, subir des agressions, s'interroger sur l'utilité et l'arrêt de la marche. Mais comment parviennent-ils à convaincre les gens de se rallier à leur cause ? Que leur disent-ils ? Comment passe-t-on de neuf personnes le 15 octobre à cent mille le 3 décembre ? La fin est également décevante : pourquoi achever le film sur l'entrée des marcheurs à l'Elysée, comme si l'invitation de Mitterrand était la consécration de leur combat alors qu'elle n'en était que le début ? Le film aurait gagné en profondeur s'il avait été solide dans sa consistance.
La rencontre avec l'équipe du film qui a suivi la projection a malheureusement donné lieu à nombre d'amalgames et de confusions regrettables, qui n'étaient pas du fait du réalisateur mais de l'audience, désireuse de comparer, avec moralisme et ignorance, le film avec l'actualité. Je ne saurais rappeler à tous l'importance de la contextualisation d'une oeuvre. En littérature par exemple, l'étude d'un texte va de pair avec la situation dudit texte. L'époque, l'histoire culturelle, l'histoire des mentalités, dans lesquelles le texte a été écrit sont primordiales. La "situation" du texte permet ensuite de l'interroger avec pertinence et de le comparer avec d'autres mais toujours en considérant le contexte dans lequel il s'inscrit. Aussi en va-t-il de même pour toute étude ou tout débat autour d'une oeuvre cinématographique (également musicale, artistique, historique...). La contextualisation précède l'analyse.
La France de 1983, dépeinte dans La Marche, n'est donc pas la même que la France de 2013. Et la question du racisme n'est évidemment pas la même. Elle s'est complexifiée. "L'immigré" dérange, non plus tant en raison de sa couleur de peau, qu'en raison du culte auquel il est "censé" appartenir (dans l'imaginaire collectif des Français ignorants et par là même du Front National, un "Arabe" ne peut être que musulman. Eh bien il existe aussi des Arabes chrétiens, juifs.) A la question du racisme s'est greffée celle de la religion. Mais n'ayant pas les connaissances et les compétences suffisantes pour pousser la réflexion plus avant, je m'arrêterai là. Comme disait Desproges, "il vaut mieux se taire et passer pour un con plutôt que de l'ouvrir et de ne laisser aucun doute à ce sujet." Revenons donc au film de Nabil Ben Yadir.
La force du film, bien qu'il souffre d'un manque patent de profondeur, est d'avoir restitué avec justesse l'esprit des années 1980 : tout d'abord, la marche ayant été laïque, le réalisateur a su dépouiller son film de toute connotation religieuse. Il a su éviter toute dérive ce qui aurait pu arriver s'il avait été ignorant. Rappelons que la Marche, injustement appelée la Marche des beurs, était une marche "pour l'égalité et contre la racisme", autrement dit contre toutes les formes de racisme. Dans le film, il n'y a pas de signe religieux, pas de référence à des rites particuliers. Les différences culturelles ne sont pas non plus mises en relief. Une oeuvre laïque en tout point. Une oeuvre également apolitique (que c'est agréable!!!). Tout au long du film, les personnages répètent bien que la Marche n'est "ni de droite, ni de gauche." A l'image même de ce qu'elle était en 1983.
Au cours de la rencontre, le réalisateur a évoqué l'idée d'une autre Marche en 2013 "qui ne serait pas du luxe". Le contexte n'étant pas le même, n'y aurait-il pas immanquablement des dérives et une récupération politique ?
C'est une lapalissade que de le dire mais tout a changé. Et c'est ce qu'ont semblé ignorer beaucoup de spectateurs hier.
Finissons tout de même sur une note positive. La Marche aurait toute sa place dans l'enseignement. Le film s'inscrit parfaitement dans le cadre de l'éducation à l'image. Bien que le sujet soit grave, les touches comiques disséminées ça et là sont à même d'intéresser le jeune public tout en les sensibilisant à l'Histoire.